Rencontre avec KT Tunstall

CHRONIQUE

Invisible Empire // Crescent Moon est le 4ème album de KT Tunstall et marque un virage dans sa carrière. Pas seulement musicalement, car c’est plutôt une remarque qui aurait mieux qualifié son prédécesseur Tiger Suit, sur lequel elle s’aventurait dans des sonorités electro pop inattendues; mais un tournant parce que l’on découvre KT Tunstall sous un jour complètement intimiste, plus personnel : pour la première fois elle semble se dévoiler véritablement.

On observe un retour à la simplicité, avec des sons plus acoustiques, comme un retour à l’essentiel : sur la première partie de l’album, Invisible empire, les arrangements sont délicats, presque effacés pour laisser plus de place à la voix de KT Tunstall, dont l’on redécouvre la beauté et qui se fait parfois particulièrement poignante, comme pour la sublime Yellow Flower.

Sur Crescent Moon, l’ambiance change subtilement, les instruments sont plus présents, et des interludes très électriques et planants s’y glissent (Waiting on the heart, Crescent Moon) donnant une toute autre couleur à cette seconde partie.

Enregistré à Tucson (Arizona), l’ensemble est très marqué de sonorités américaines, allant bien au-delà des touches folk teintée de country qui faisaient partie de son univers jusqu’ici: le riff dansant d’Old man song, les guitares de Waiting on the heart et Feel it all, premier extrait de cet album, dont le riff et la mélodie du couplet sonnent durement et très américana, contrastant avec la douceur du refrain …

L’album se termine avec No better shoulder, une chanson où la voix de KT Tunstall sonne comme on l’entend rarement, grave, profonde avant d’être complètement emportée par la montée instrumentale que l’on sent gronder doucement en arrière plan avant que celle-ci ne prenne le lead pour donner un second souffle à la chanson, clôturant magistralement ce très bel Invisible Empire // Crescent Moon.

RENCONTRE

Entre Tiger Suit, à l’énergie très pop, et Invisible Empire // Crescent Moon, la transition n’a pas été si brutale qu’il n’y parait de prime abord : il y avait eu The Scarlet Tulip EP, une petite parenthèse acoustique de chansons inédites enregistrées « à la maison » que l’artiste distribuait via son site officiel. Difficile donc de ne pas y penser en découvrant ce nouvel album :

Oui cet EP a vraiment été la graine, l’élément déclencheur de cette direction :

avec Tiger Suit, j’étais extrêmement excitée par la production, les sons electro, je voulais un peu tout tester. A l’époque j’écoutais beaucoup de dance, et je le fais toujours d’ailleurs, mais là c’était beaucoup plus, comme si Tiger Suit me sortait de mon cadre de référence habituel.

Quand j’écris des chansons, peu importe dans quel style, elle viennent toujours de quelque chose de simple, et même quand j’en écris des énergiques, j’en écris toujours en parallèle de plus douces. Mais Tiger Suit était tellement bourré d’énergie que je n’avais vraiment pas de place où mettre celles-ci.

Un ami à moi m’a suggéré de les enregistrer juste pour la tournée, sans en faire la promo, juste pour avoir quelque chose de spécial pour les fans et j’ai trouvé l’idée super. C’est comme cela qu’est né cet EP, et j’ai vraiment aimé la simplicité et la douceur qui s’en dégageaient.

C’est vraiment le sentiment que j’avais envie d’avoir avec ce nouvel album.

Invisible Empire // Crescent Moon est un album au titre double, présenté comme étant véritablement en deux parties, et l’on peut se demander si l’artiste le voit comme deux EP raccordés ou bel et bien comme un véritable album :

Je le vois vraiment comme un ensemble, car je n’avais pas vraiment prévu de le faire en deux parties. C’est arrivé naturellement car j’ai enregistré la première moitié en avril 2012 et la seconde en novembre. Entre les deux, j’ai perdu mon père et ma vie personnelle est partie en vrille … je me sentais complètement différente lors de la deuxième session d’enregistrement, et j’ai voulu le faire apparaître.

Et puis je me suis mise à écouter des vinyles et j’adore ce moment où il faut retourner le disque, comme un moment pour respirer, digérer, laisser planer. On a ainsi deux premières chansons, et c’est une idée que j’aime beaucoup alors j’ai pris grand soin de choisir les premières de chaque partie car pour moi ça détermine le reste. Mais si tu ne le sais pas en écoutant mon album peut-être que tu ne sauras pas dire où il se coupe et c’est tout aussi important car je voulais que ce soit un ensemble.

A évoquer ces deux faces de l’album, je n’ai pu m’empêcher de remarquer que sur le pochette, son costume faisait très cow-boy et que les deux traits colorés évoquaient du coup les indiens, comme deux facettes liées par un même décor. Un peu tiré par les cheveux certes, mais j’ai tout de même tenté la comparaison pour savoir si c’était l’idée :

Complètement ! Mais c’est un total accident, je n’y avais pas vraiment pensé à la base, même quand l’idée de faire une double pochette avait été évoquée. L’autre jour je fabriquais des autocollants avec les slashs pour ma guitare et je l’ai remarqué, trouvant ça hyper cool !

Invisible Empire parle d’essayer de tout contrôler mais quand on contrôle les choses, on les étouffe et les tue; Crescent Moon parle de re-départ, de liberté … donc oui c’est tout à fait ça, bien vu !

Ce nouvel album est réalisé par Howe Gelb, que l’on entend chanter sur Chimes. Sa route a croisé celle de KT Tunstall par l’intermédiaire d’un musicien anglais Robyn Hitchock, qui a réuni six artistes autour du projet The floating place.

Howe et moi somme devenus amis très rapidement, sans même connaître nos musiques respectives. Il m’a proposé de venir à Tucson, et quand j’y suis allée je ne m’attendais pas vraiment à faire un album, c’était juste pour travailler, expérimenter.

Nous sommes complètement différents, c’est le genre de personne qui peut arriver en studio sans aucune chanson et enregistrer un album complet dans la foulée. C’est fou, je ne comprends pas du tout ça ! (rires)

Ainsi l’album fut enregistré en Arizona, avec des musiciens locaux, et réalisé par un artiste aux multiples casquettes. Difficile de ne pas y lier de façon évidente la provenance de ce son americana qui imprègne l’album :

Et pourtant sur Feel it all, cette guitare qui sonne comme western ça vient de moi !
Mais sans aucun doute, l’endroit où j’étais a eu un effet sur ma musique, et j’étais heureuse de la laisser s’en imprégner. Je me sentais vraiment connectée à ce lieu à cette période et je n’ai pas l’impression de l’avoir emprunté, mais plutôt que pendant un moment il m’appartenait vraiment.

Feel it all

» Making Of du clip

Pour cet album, au-delà de changer d’équipe KT Tunstall a également changé complètement sa façon d’enregistrer :

Je n’ai utilisé aucun ordinateur pour enregistrer cet album. Tout est fait sur de vieilles machines : c’est une performance live, tu appuies sur le bouton et tu joues, si tu te trompes, tu dois recommencer.
Ça a été une révélation pour moi car d’habitude, et c’est ce que je faisais sur mes autres albums, tu peux tout corriger. Au final tu te retrouves à tout repasser et repasser encore et encore jusqu’à ce que ce soit parfait et ça devient complètement ennuyeux !

Tout était live donc quand j’enregistrais le micro devenait un public, et c’est un challenge de devoir réussir d’un coup, en jouant et chantant en même temps. Mais par exemple Made of Glass a été faite en une prise et j’en suis fière.

Cette vieille machine a tout changé pour moi, c’est très satisfaisant pour un musicien d’arriver à enregistrer ainsi.

Dans la première moitié de l’album, on est assez frappés par la voix de l’artiste qui se détache, mise en avant avec douceur, ainsi que par sa voix qui prend des sonorités particulières sur des chansons comme Yellow Flower ou No better shoulder. Comme si on la redécouvrait en tant que chanteuse :

Avec les années, j’avais fini par croire que les gens attendaient de moi un package complet : écriture, composition, chant, guitare, pédales de loop, personnalité … et j’en ai négligé ma voix. Surtout que je me suis toujours considérée comme musicienne avant tout, je n’avais pas confiance en ma voix en tant que telle. Mais sur une période assez rapprochée on m’a plusieurs fois fait remarquer que je devrais me focaliser plus sur ma voix.

Cela m’a fait réfléchir, car j’ai tendance à toujours pousser ma voix et j’ai beaucoup de chansons qui obligent cela sur mes précédents albums. Quand j’ai enregistré le Scarlet EP, j’utilisais un vieux micro dans lequel il fallait chanter doucement pour ne pas l’endommager.

Tout cela m’a amenée à chanter différemment et comme je ne l’avais jamais fait auparavant et j’ai vraiment aimé cela.

Yellow Flower

» Toutes les vidéos de The Tucson Acoustic Session

Avec ces nouvelles chansons, KT Tunstall semble se dévoiler plus que d’ordinaire, les thèmes et les textes sont plus personnels. Une intimité qui peut paraître nouvelle :

C’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire, et que j’ai toujours essayé de faire. Je n’ai jamais fait de la musique qui ne soit pas personnelle, ça l’a toujours été, mais j’avais toujours à faire un effort pour qu’elle le soit. Sur cet album, c’est arrivé facilement, c’est la première fois que c’est naturel et c’est un soulagement d’avoir pu arriver à cela.

Le premier extrait de l’album, Feel it all, n’est d’ailleurs pas un choix anodin car c’est l’une de celles qui tient le plus à cœur à l’artiste sur cet album :

J’ai commencé à écrire Feel it all juste avant que mon père ne meure et je l’ai finie après une sale période, alors cette chanson est vraiment médicinale, cela m’a fait du bien de la chanter. Et maintenant que je la joue pour d’autres personnes j’ai le sentiment que je reçois cela aussi en retour quand je lis les commentaires des gens sur youtube et twitter qui disent que cette chanson les fait se sentir bien … comme si je l’avais écrite pour partager cela.

C’est d’ailleurs celle qu’elle cite également lorsqu’on lui demande laquelle elle a le plus hâte de jouer sur scène:

Toutes forcément, mais indéniablement Feel it all a quelque chose de particulier car j’aime beaucoup quand j’arrive à faire chanter les gens à la fin, c’est trop beau !

J’ai toujours trouvé ça culcul de faire chanter tout le monde, mais depuis que j’ai vu Krystle Warren en concert j’ai changé d’avis. Elle le faisait si naturellement, ça n’avait rien d’un cirque, rien de culcul, tout le monde chantait et là je me suis dit que ça pouvait vraiment être bien.

Sur un plan purement physique, je pense que chanter te transforme et faire cela avec tout un groupe de gens que tu n’as jamais rencontré auparavant, c’est d’autant plus fort. Et avec Feel it all, j’ai réussi à recréer cela.

Pour accompagner la sortie de cet album, KT Tunstall fera une tournée complètement solo, pour revenir à l’essentiel et faire vivre ses chansons dans leur plus simple appareil :

J’avais envie de redevenir autonome sur scène, sans rien d’autre que moi et ma guitare. Juste m’asseoir et jouer une chanson.

Quand tu fais un album et qu’ensuite tu joues seule, tu te dis toujours « la ligne de basse me manque » ou « j’aimerais bien que là l’orchestre électronique qui va avec cette chanson se déclenche » (rires).

A la fin de la tournée de Tiger Suit, j’ai du faire quelques concerts seule et j’avais des dizaines de pédales pour essayer de reproduire ce disque electro-disco-pop-folk. C’était dingue, ça devait donner l’impression que je faisais des claquettes avec tous ces trucs à gérer à mes pieds. Mais la chose essentielle c’est que j’avais beau être seule, j’avais une réponse du public géniale.

Je pense que c’est une question de gens qui viennent voir ce que tu as à dire et pour le type de musique que j’écris on entend mieux s’il n’y a qu’une personne. Beaucoup de gens sont venus me dire qu’ils préféraient cette formule alors j’en ai tenu compte. Même si bien sûr j’adore jouer en groupe et que je le ferai pour des festivals cet été.

Mais là c’est plus facile de jouer seule. Tout est plus simple, plus facile à gérer et après l’année que je viens de passer, je ne veux avoir à gérer personne d’autre que moi-même!

SUGGESTIONS D’ÉCOUTES, par KT Tunstall

J’aime vraiment le nouvel album de Devendra Banhart, Mala. Je n’ai jamais trop écouté ses albums précédents mais celui-ci me plaît beaucoup.

Et aussi The Pictish Trail, un très bon artiste écossais. Il fait une musique electro-folk émouvante. Il utilise plein de pédales et de gadgets, mais tout passe par sa voix, et c’est beau.


» www.kttunstall.com
» Lire la chronique de The Scarlet Tulip EP
» Lire le live report de La Cigale (2011)

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