Rencontre avec David François Moreau

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Le nom de David François Moreau n’est pas de ceux que l’on situe immédiatement. C’est un homme de l’ombre, compositeur multi-facettes, dont vous avez très probablement déjà entendu la musique mais sans le savoir. Peut-être au détour d’un film, d’un ballet contemporain ou d’un album de jazz ou de chanson…

Si aujourd’hui, (formule purement rhétorique puisque cet entretien a eu lieu il y a quelques mois), David François Moreau se prête au jeu des interviews, c’est parce son actualité est dense :
– le Lied Ballet de Thomas Lebrun, dont il a composé la musique du 3ème acte a joué plusieurs soirs à Chaillot
[oui c’est passé, mais si vous cherchiez des actus fraîches sur la danse contemporaine, vous n’êtes pas sur le bon blog]
– l’Ineffable, album du Trio Viret dont il a assuré la direction artistique est sorti
– de même que L’âge d’or de Cali, album qu’il a réalisé et co-composé.

Un piano droit à côté d’une porte-fenêtre, le soleil qui illumine la pièce, quelques illustrations d’oiseaux aux murs… nous sommes au Studio d’Orgeville où David François Moreau travaille.

On entrevoit de très hautes piles de partitions, que David présente comme « ses professeurs » : autodidacte, c’est en les étudiant de très très près qu’il s’est formé.

J’ai pris des cours de piano petit, mais tout a vraiment commencé quand je me suis pris une gifle magistrale de ma prof.
J’aimais énormément la musique, comme un début de mélomane qui baigne dans Stravinsky, Mozart et la musique baroque depuis sa plus tendre enfance, mais je n’avais pas une envie féroce d’apprendre le piano, et j’allais plutôt à reculons prendre des cours. Après cette gifle, en arrêtant les cours de piano, j’ai commencé à adorer la musique et commencé à rentrer dans la sonorité, à expérimenter ce que c’était que trouver des harmonies, des contrechamps, des chromatismes… et dans la musique que je fais aujourd’hui je retrouve des obsessions qui ont commencé à cet âge là.

Finalement c’est la gifle qu’il fallait, une violence heureuse car ça m’a vraiment donné envie de faire de la musique, seul. Et c’est vrai que souvent les gens dans mon entourage musical sont éberlués quand ils apprennent que je suis autodidacte car ça demande une rigueur quasi militaire. Il faut être acharné et je suis un éternel étudiant, sans cesse à rechercher.

Après, le conservatoire ne rend pas compositeur. Beaucoup sont passés par là, mais ce qui les rend compositeurs c’est leur volonté d’entendre de la musique profondément en eux.

Des professeurs, David François Moreau s’en est également trouvé au gré de son parcours. Adepte de théâtre, c’est pour cet art qu’il commence à composer. Avec Luc Bondy, du Théâtre de l’Odéon et Luc Barnier, monteur, il découvre la science du récit et de la dramaturgie, qui se implique une gestion du silence et un dosage de l’autorité et la densité que peut avoir la musique.

L’une des questions bateau qui revient souvent lors des interviews d’artistes auteur-compositeur est la fameuse « vous composez d’abord la musique ou vous écrivez les paroles ? ». Ici, difficile de ne pas demander comment se passe la composition d’une musique pour le théâtre, un film ou un ballet et si le processus change d’une discipline à l’autre.

Quand la dramaturgie est en action, c’est évidemment bien plus parlant. C’est plus facile de travailler sur un premier montage qu’en allant voir un tournage. Un tournage ne raconte rien sur un récit, c’est plus la fabrication du film. Ma partie à moi c’est créer de l’émotion, de créer le monologue intérieur d’un personnage, comme le chœur antique. Il y une triangulation entre le public, les personnages et la musique. Celle-ci s’insinue, fait un voyage subtil, un aller-retour permanent entre ce que les personnages ne racontent pas ou ne savent même pas d’eux-mêmes et la perception du public.

Dans une chanson, c’est pareil. Si l’on prend l’exemple de la chanson Ostende de Cali, au départ c’était une chanson à la guitare à 4 temps, avec un texte magnifique. En l’écoutant, ça m’a donné l’idée d’une musique derrière, qui se glissait dans ses mots. Et alors que ça changeait réellement ce qu’il avait composé, ça a plu à Bruno et il a adapté sa mélodie en fonction. Comme une musique de film qui agit en commentaire, là on a une texture émotionnelle qui raconte quelque chose en même temps que lui. C’est ça qui est beau dans une chanson : sur un format très court, il peut y avoir un commentaire qui serpente, qui joue avec les mots.

En danse, j’ai parfois des chorégraphes qui viennent dans ce studio et qui me disent parfois très peu de choses mais suffisamment. Par exemple, »j’ai besoin de quelque chose d’extrêmement rapide, de très strié, excessif et répétitif, d’environ 20 minutes, avec les variations que tu veux, mais vers 14 minutes il me faut un climax ». Et je travaille pendant quelques mois, pendant qu’eux répètent en parallèle sur une musique toute autre, ou sur du silence. Et quand nos travaux se rejoignent c’est toujours très fort. Là aussi la musique s’insinue dans les gestes.

Lorsque l’on parcourt son site en écoutant ses compositions, l’on est surpris par la diversité des styles musicaux, troublés par le manque de repères et parfois un peu perdus, avouons-le, car si l’on est plus « chansons », ces sorties de cadre peuvent déconcerter.

Pourtant, à l’écoute de L’âge d’or, il y a un morceau inattendu qui casse justement les codes d’un album de chansons et qui est à mon sens une très bonne passerelle entre les différents travaux de David François Moreau : Poppée in Utero. Morceau instrumental de presque 3 minutes, il introduit Poppée et en les découvrant à la suite, « in utero » prend tout son sens.

Cali est toujours en appétit de nouveautés et de choses extrêmes. Il m’a dit « J’aimerais bien qu’il y ait une pièce qui pourrait s’apparenter un peu à une musique que tu ferais pour de la danse contemporaine. »

Les morceaux de L’âge d’or sont très courts, avec des refrains qui sont de vraies ritournelles, entêtantes. Il y a plusieurs aspects sur ce disque, on pourrait dire « du bal populaire jusqu’à Chaillot » car il y a plein de manières de faire des chansons, de couleurs différentes. Ici c’était un vrai choix que de faire court, alors que mon naturel irait plus vers des intros très longues comme a pu le faire Radiohead sur les derniers albums. Tenir sur 3 minutes c’est un autre type d’exercice, pas forcément plus simple.

Poppée in utero, c’est un hommage à tout le disque. Chaque partie de ce morceau vient d’une chanson, de chutes diverses, comme un collage cubiste. On entend le flaviol de La vie est une menteuse, la voix de Coco… et j’ai fait jouer à l’altiste quelques parties spécialement pour ce titre.

Faire celui-ci c’était une chose, mais encore fallait-il qu’il y ait des gens en face qui assument ce morceau. Et ce fut le cas, tant Bruno que sa maison de disques, personne ne m’a appelé en disant « mais vous êtes malades ! » et c’est la page 11 du disque.

Le fait que ça aie fait sens quand tu as écouté l’album montre bien que ce type de musique peut être accessible.

Et puisque l’on parlait de passerelles, c’est l’occasion d’évoquer Entre Deux, album qu’il a réalisé avec Fabrice Moreau et Régis Ceccarelli pour Patrick Bruel et vendu à près de 3 millions d’exemplaires.

Jamais je ne me suis dit « je vais faire plus simple car les gens ne vont pas comprendre » ou « je vais faire plus court parce que les gens vont s’ennuyer » : je n’essaie pas de me mettre à la place de, ou de faire redescendre mon enthousiasme et ma gourmandise ou ambition musicale sous prétexte que des gens pourraient trouver ça trop élitiste.

C’est grâce à ce genre d’exigences qu’on a Entre Deux, qui est une très grande fierté dans mon travail d’arrangeur car on y a mis des choses de tous bords, et même carrément expérimentales.

L’idée était de rendre grâce à ces chansons. Le concept était simple : pas de gouaille, rien de titi parisien, pas d’accordéon. Donc il fallait s’en sortir pour faire des chansons de l’entre-deux guerres sans ce qui les caractérise. On doit donc aller à la source de la chanson : son harmonie, sa mélodie et son texte.

L’idée était de faire redécouvrir les bijoux que sont ces chansons, en mettant le texte en valeur d’une manière différente.

Nous nous sommes ré-adressés aux gens et ils ne s’y sont pas trompés: en étant exigeants et respectueux, on a atteint le cœur des gens.

Lorsqu’il évoque son travail avec Cali, David François Moreau parle de rencontre magnifique et ne tarit pas d’anecdotes sur l’évidence de leur collaboration :

Pour La vie est une menteuse, c’était très spontané, il me l’a chantée, et je jouais avec les doigts sur la caisse claire en fredonnant ce qui est devenu l’air de piano.

C’était tout le temps comme ça, des évidences, des idées qui fusent. Et pas de remise en question, si ça nous plaisait sur le moment on n’y revenait pas. Tout était en marche avant, pas de pas de côtés ou en arrière. Un enthousiasme continu. Et avec ses musiciens et Jean-Baptiste Brunhes l’ingénieur du son c’était pareil. Dès qu’il y avait une idée elle était absorbée dans le morceau.

Et impossible pour moi de ne pas glisser un aparté sur La vie quoi, qui est quand même LA chanson au tempo parfait pour une petite séance de fractionné – amis aficionados du footing bonjour.

Ce qui ne manquera pas de le faire sourire et entraînera cette petite explication vidéo concernant le contraste entre l’énergie du morceau (160 à la noire) et la texture d’harmonie du morceau qui est très mélancolique :

Sortir de l’ombre après toutes ces années ne semble pas effrayer David François Moreau, bien au contraire :

Je me suis toujours planqué, j’ai un site internet où je présente mon travail depuis très peu de temps mais là ça tombait assez naturellement. Sur deux mois, le grand écart est fait dans toutes les directions de mon travail et avec une actualité commune.

Et puis c’est surtout la première fois qu’on me demande vraiment de parler de mon travail. Cali me l’a demandé pour présenter l’album en vidéo et depuis, je l’accompagne parfois en promo.

Cali – L’âge d’or – EPK : Partie 1 || Partie 2 || Partie 3 || Partie 4 || Partie 5

C’est aussi l’occasion pour moi, alors que je n’en ai jamais parlé car on s’intéressait plus alors à une fratrie qu’au travail à proprement parler, d’évoquer mon travail avec Patrick. Ce qui me réjouit car je suis très fier de ce que j’ai fait et ferai avec Patrick. A nous trois avec Fabrice, nous sommes dans tous les genres musicaux et c’est génial de travailler ensemble.

Pour la suite de ses projets, fort de cette expérience avec Cali, David François Moreau pourrait poursuivre dans la chanson si d’autres rencontres offrent un partage d’univers intéressant, et notamment avec des artistes chantant dans d’autres langues, avec d’autres cultures :

Aller faire un disque en Norvège ne me déplairait pas une demi-seconde.
J’en profiterai pour aller pêcher à la mouche dans les rivières 😉

Un entretien passionnant avec un homme passionné, dont on ressort avec une furieuse envie de dépoussiérer ses manuels de solfège, non pas par quelconque complexe, mais pour l’envie qu’il insuffle de voir la musique différemment, d’une façon à la fois très structurée et empreinte de profonde liberté.


» David François Moreau, site officiel
» D’autres interviews de David FRançois Moreau à lire chez mes camarades : Sélim & Ally

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